"Papa revient !"

Le soleil se couchait à l'horizon, par-delà la cîme des arbres, dans un bain de sang semblait-il, alors que le jour mourait en une lente agonie. Les oiseaux faisaient entendre leur dernier concert diurne avant de céder la place aux batraciens et autres insectes.

Paris, fille de Klein soupira.

Accoudée en haut de la tour de guet qui surplombait la porte du Fort, elle avait passé là sa journée, comme tant d'autres journées, à scruter la forêt, les yeux rivés vers le Nord.

Il ne viendrait pas aujourd'hui.

Le bruit de bottes souples sur l'échelle de bois derrière elle la tira à peine de sa contemplation. L'homme se plaça à côté d'elle, posant sur les épaules de la jeune femme une chaude pelisse.

- La nuit va être froide, ce soir, dit-il, tout en s'accoudant également à la rambarde, regardant dans la même direction que Paris.

La jeune femme tourna un instant la tête vers lui, examinant son profil marqué de rides, de cicatrices et d'une barbiche grise. Brant, fils de Drago était le gouverneur élu de la Thandara. C'était un homme bon et responsable, sachant toujours prendre les bonnes décisions. C'est cette sagesse qui l'avait placé à ce poste, et il était estimé de tous.

Elle détourna son regard et ses yeux se portèrent à nouveau vers le lointain.

Un long moment s'écoula avant que Brant ne brise ce silence fragile.

- Vous devriez vous reposer, dit-il. Voilà plusieurs jours que vous sautez vos repas, ne mangeant que quelques bouchées, et vous dormez insuffisamment.

- Je ne peux trouver le sommeil, répondit-elle. Mes nuits sont hantées par les rêves et ceux-ci brûlent mon âme.

- Il vous manque toujours autant, n'est ce pas ?

- Oui, répondit-elle la gorge nouée. Sans cesse, je le revois me tenant dans ses bras, le visage grave, me tendant à d'autres bras, des bras inconnus, tandis que les flammes bondissaient tout autour de nous, dévorant les cabanes des colons. Le rugissement du feu et les cris qui s'élevaient de toutes parts étaient assourdissants. "Papa doit partir !" criait-il alors que je pleurais, tendant mes petites mains vers lui. "Papa va chercher maman, et tes frères et sœurs. Sois sage, papa revient !" Ce sont les derniers mots que j'entendis de lui. "Papa revient !"

Le silence se fit pesant. Dans l'enceinte du fort, on commençait à allumer des torches. Une sentinelle monta en haut de la tour pour allumer le braséro qui s'y trouvait. Brant congédia le garde qui redescendit en bas, attendant le instructions, assis sur un billot.

- Je me souviens, dit le gouverneur, du jour où vous vous êtes présentée à nos murs, mourant à moitié de faim et épuisée. Vous aviez fui Tarantia où le soldat, auquel votre père vous avait confié, avait de la famille, pour revenir sur les lieux où vous aviez vécu, en Conajohara. Vous aviez, si je me souviens bien, à peine onze ou douze ans, à peine. Vous aviez eu beaucoup de chance d'arriver saine et sauve après un si long voyage, surtout pour une enfant de cet âge. Quelle volonté, quelle ténacité devait être la vôtre !

Paris poursuivit, amère : "Quand je suis arrivée en Schohira, on m'apprit que la Conajohara était tombée et que les Pictes avaient détruit l'ancienne colonie, ne laissant rien debout, ni personne de vivant. Ceux qui purent se sauver à temps avaient, disait-on, gagné la Thandara. Je suivis donc la piste de ces réfugiés, posant sans cesse des questions sur le destin qui avait pu frapper mon père..."

- Oui, et c'est ainsi que nous vous trouvâmes, errant dans le fort, agrippant les colons et les Rangers par la manche, posant toujours la même question : "Vous n'avez pas vu mon papa ?". Vous n'avez jamais perdu espoir de le revoir un jour.

- Non, et c'est pourquoi un désir insatiable me pousse à monter sur cette tour et à tourner mon regard vers la Conajohara, encore et encore, jour après jour.

Brant se redressa et posa sa main sur l'avant bras de la jeune femme.

- Allons, venez, il va faire nuit. Dans quelques minutes, il vous sera impossible de voir quoi que ce soit. Vous ne pouvez rien faire de plus. Venez.

Apaisée par les paroles et le ton réconfortants du gouverneur, Paris, fille de Klein suivit celui-ci et commença à descendre au niveau du sol.